Sultan, vient là enfoiré ! Foutu clébi. 1766 et Jean-Jacques arrive à Paris. Depuis Motiers la route a été longue et Sultan vient de sauter du fiacre pour se dégourdir les pattes.
Le bon gros David est censé m'attendre là-bas pour prendre la tangente vers l'outre-manche (et non le foutre de ma manche). C'est que j'en ai plein le fion moi de me faire chasser partout où je me pointe, plein le dos de voir mes bouquins brûlés. Franchement, c'est pas mignon l'Emile ? Un gros jardinier poilu, Robert (qui sème des melons), une Sophie prude et fraîche. Tout ce que je n'avais jamais osé imaginer pour moi-même réunis au fond du petit Emile. Bref, à Paname, en attendant David ça va enfin être l'occasion de profiter un peu de ces mondanités sur lesquelles il est si bon de cracher mais qui me font tant de bien. Peut-être même que je pourrais faire une bouffe avec les "potes", le vieux au dictionnaire philosophique tout creux, Denis, peut-être même le baron et toute la clique des éclairés. Tu parles... Je sais déjà exactement comment tout ça va se passer.
Ambiance feutrée, chandelles tout autour de la grande table en bois. Le club des quatre à table, Sultan à mes pieds.
- Le gros David : "...hé les mecs ! Volt ! Denis ! Y reste du poulet ?"
- Le plus vieux, Volt, une gueule qui crains, une de celle que toute la tolérance du monde ne suffirait pas à accepter : "Putain, Jean-Jacques, tu crains, c'est toi qu'a tout bouffé ?"
- Moi, obsédé dans la force de l'âge, un visage lumineux : "Oh non les gars, vous allez pas encore m'accuser ! Y a en a marre, c'est toujours moi qui prend ! Le poulet c'est pas moi qu'il l'ai bouffé, c'est Sultan".
- Un mec cool ce Denis avec sa tronche d'ado pré-pubère : "Soyez sympa avec lui les gars, je l'ai vu, c'est le chien qu'a chippé la carcasse".
- Volt : "Plein l'cul moi, chaque fois qu'on l'invite l'illuminé, c'est pareil, il a toujours des bonnes excuses pour mettre le bordel. Faut toujours qu'il y ait un con qui gâche tout ! Dis lui David !".
- David : "Ouais, je suis d'accord, tu fais chier Jean-Jacques. Allez, prends tes cliques, tes claques, ta verge mécanique, ton chien galleux, tes gentils bonhommes tout nus qui courres dans la forêt et tu te casses ! Ici on est entre athés, pénards".
- Ma vie est une éternelle persécution : "Oh non merde, vous allez pas remettre ça, soyez sympas... j'ai pas trop d'amis... Denis, dis-leur quelque chose, ne les laisse pas me jeter pour un morceau de poulet...".
- Denis : "Ouais mais c'est vrai Jean-Jacques, c'est pas que pour le poulet... les Suisses ils nous font chier, on sait jamais trop ce qu'ils veulent. Un coup ils sont cool tes bonhommes, un coup ils se font la guerre... Tu comprends, ça casse les couilles ça en France. Et puis ton accent c'est vraiment débile de nos jours. Tu crains un max mec. T'as bien changé depuis Vincennes. Je te reconnais plus depuis que tu t'es enfoncé ta barre à mine dans la bite ! Tu dois vraiment être taré en fait... T'as de la flotte dans le cibouleau ou quoi ? Et puis franchement, ton costume de Croate c'est pas la grande classe dans les salons".
- Volt, l'air décidé : bon allez Robocop, c'est voté à l'unanimité, tu te barres et tu reviens plus.
Je sors et j'attends dans le froid la fin du repas. Je supplie David d'être clément et de me ramener en Angleterre.
"Peu de temps après mon établissement à Motiers-Travers, ayant toutes les assurances possibles qu'on m'y laisserait tranquille, je pris l'habit arménien. Ce n'était pas une idée nouvelle; elle m'était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de l'habit long. La commodité d'un tailleur arménien, qui venait souvent voir un parent qu'il avait à Montmorency, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu'en dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l'avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne; mais l'orage excité contre moi m'en fit remettre l'usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut que quelques mois après que, forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après avoir consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pouvais le porter au temple même sans scandale. Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture; et, après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis point d'inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son Excellence, me voyant ainsi vêtu, me dit, pour tout compliment, Salamaleki: après quoi tout fut fini, et je ne portai plus d'autre habit."
Les Confessions, livre XII.
2 commentaires:
A la limite du blasphème
nous le confessons... les débuts du blog ont été un peu "acides".
nous édulcorons de plus en plus.
Nous préparons une doucle planche avec JJ Rousseau pour thème. elle sera en ligne dans les prochains jours.
@+
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