Un vieux classique de la toile qui traine un peu partout mais sur lequel Hippocrite & Démocrate ne pouvaient pas faire l’impasse. Nous vous présentons ici une version très « socratisée » et quelque peu personnalisée - avec une pensée particulière pour nos lecteurs platonisants.
SOCRATE, encore jeune, naïf et mécaniste malgré l'enseignement de l'Etranger : « Parce que l'espèce volatile est seule à partager avec l'espèce humaine le lot d'avoir deux pieds » (Le Politique, 266 e).
SOCRATE, dans la maturité et en guise d'introduction, découpant le sujet comme une volaille dont on respecte les articulations : « Gallinaceus, tu dis que le poulet a traversé la route, mais qu'entends-tu au juste par poulet ? Et qu'est-ce qu'une route ? Est-il seulement possible de la traverser ? J'avoue ma perplexité, mais je suis sûr que tu m'éclaireras, toi, le grand expert ès aviculture. Si tu sais tout du gallinacé, je sais seulement que je ne sais rien de cette volaille, ni d'ailleurs du canard, de l'ibis et de tout ce qui porte plume, poil, écaille ou quelque apparence que ce soit. Mais par le chien, j'y songe ! Si le poulet ne fait pas de secret pour toi, t'y connais-tu seulement en fait de voies, routes et chemins ? J'aperçois Théodromon qui revient de la palestre. Il est expert ès infrastructures - c'est du moins ce qu'on prétend... Heureux présage : les dieux nous l'envoient. Sans doute veulent-ils que nous débattions de ce poulet qui, je te l'avoue, Gallinaceus, dépasse mon entendement. N'est-ce pas le moment opportun d'en dialoguer ? CRITON : Assurément, Socrate.
HERMOGENE : Les dieux parlent par ta bouche.
CRITOBULE : Vraiment, tu es inspiré.
ALCIBIADE : Comment ne pas t'approuver, cher maître ?
MENEXENE : C'est une idée géniale
DITHYRAMBIQUE : idem, etc. PHEDON : Tu sais que je te suivrai jusqu'au bout, Socrate !
MENON : Tu pourras interroger mon esclave : il connaît la réponse !
PROTAGORAS : Moyennant quelques drachmes, je vous révélerai ma profonde pensée : l'homme est la mesure du poulet, de son mouvement et de son repos.
XANTHIPPE : Socrate, si toi et ton poulet vous obstinez à passer route et nuit dehors, tu verras demain de quel bois je me chauffe ! »
SOCRATE, guilleret, après 18 heures de dialogue ayant laissé ses interlocuteurs fourbus, pantois et aphones : « Amis de la sagesse et sages amis, nous n'avons pas résolu l'aporie du poulet, tant s'en faut : il faudrait être téméraire pour prétendre le contraire. Reste qu’ « à l'imprévu et aux poulets, les dieux livrent passage » et que ce n'est pas en vain que nous avons dialogué. Si nous ne savons toujours pas ce qui a conduit ce satané gallinacé à se prendre pour Hermés, vivant dieu des voyageurs et des voleurs, nous avons progressé tant l'esprit se bonifie par la philosophie, la pensée avec autrui qu'est le dialogue et le dialogue avec soi-même qu'est la pensée. Ne savons-nous pas enfin ce que sont un poulet, une route, et dans quelle mesure l'un, plumé ou déplumé, peut traverser l'autre, avec ou sans obstacle, et ceci, sans voler mais en s'appuyant sur ses seuls ergots par lesquels sa bipédie se distingue spécifiquement de l'humain - même s'il subsiste entre nous d'importantes divergences sur la nature du poulet en soi et de son mouvement... Ce n'est pas là une mince avancée ! Retrouvons-nous demain pour en dialoguer ».
SOCRATE, à l'article de la mort, ayant bu la ciguë et se remémorant ce dialogue majeur que d'aucuns prétendent apocryphe) : « Criton, dit-il, nous sommes redevables d'un coq à Asclépios ! Vous autres, acquittez ma dette ! N'y manquez pas » (Phédon, 118 a). Sur ces paroles, Socrate passa de vie à trépas. Son ultime pensée avait été pour Gallinaceus.
PLATON : Le poulet a traversé la route parce que son Idée contemple le Bien.
ARISTOTE : L’Idée du poulet ? Et pourquoi pas celle de l'ergot ? Plus simplement, le poulet actualise sa puissance de traverser la route. C'est dans sa nature comme le prouvent les poulets d'Athènes, de Crète, de Stagire et les « poulets de l'Indus » écrasés sur la route par les éléphants d'Alexandre.
HIPPOCRATE: À cause d'un excès d'une humeur bilieuse, de couleur vert clair au niveau de la poche principale de son estomac.
DÉMOCRITE : En raison de sa nature atomique : le vide séparant les atomes de la route et ceux du poulet font que ceux-ci tourbillonnent et s’attirent.
DIOGENE LE CYNIQUE : Si ce bipède est déplumé, c'est l'homme de Platon.
ZENON d'ELÉE : Le poulet voulait rattraper la tortue, mais il ne l'a pas pu. Il est resté cloué sur place.
HERACLITE : Le poulet ne traverse jamais deux fois la même route.
CRATYLE : Ni même une seule fois !
PYRRHON : Rien ne prouve que ce poulet, dont nous ignorons tout, ait traversé la route, qui n'existe peut-être pas, pour un but inconnu : autant suspendre notre jugement.
EPICURE : Il cherchait le grain avec mesure, Ménécée. Qui le lui reprochera ?
MACHIAVEL : L'élément important, c'est que le poulet a traversé la route. Qui se fiche de savoir pourquoi ? La fin justifie les moyens !
SPINOZA : Il croit traverser librement la route parce qu'il est conscient de sa traversée mais non des causes qui l'y déterminent.
LEIBNIZ : Il y a une raison suffisante qui explique que ce poulet monadique a traversé la route ici plutôt qu'ailleurs et maintenant plutôt que demain : le monde eût été moins harmonieux s'il eût agi autrement.
DESCARTES : Qu'attendre d'autre de cette stupide mécanique ? Les horloges marquent les heures et les poulets traversent les routes.
FREUD : Le fait que vous vous préoccupiez tous du franchissement de la route par cet animal immature trahit votre sentiment latent d'insécurité sexuelle.
FREUD, bis : L'extraordinaire curiosité du poulet pour l'autre bord de la route exprime sa fascination névrotique pour la sexualité de ses parents, M. le coq et Mme la poule.
HEIDEGGER : L'être-pour-la-mort du poulet s'égare sur des chemins qui ne mènent nulle part et qui, par là même, le conduisent partout où la philosophie est interpellée dans son être par l'émergence du poulet en devenir. Qu'est-ce à dire sinon que la pouléité du Dasein est dans sa route. De plus, le Dasein chauffant au cul du poulet, celui-ci voit son être-au-monde le pousser par-delà la route.
DARWIN : Il était le plus apte...
GALILEE : Le fait que le poulet traverse la route ou que la route traverse le poulet dépend entièrement de votre référentiel.
EINSTEIN : Je suis d'accord avec Galilée et j'ajoute qu'en traversant à la vitesse de la lumière, il aurait vieilli moins vite que son jumeau resté au poulailler !
W. HEISENBERG : Si nous connaissons la vitesse du poulet, nous ne savons pas de quel côté de la route il se tient : il l'a probablement franchie mais ce n'est pas certain !
E. SCHRODINGER : L'aspect corpusculaire du poulet nous empêche de raisonner correctement. En considérant plutôt sa nature ondulatoire, il est possible de remplacer la notion de "Trajectoire du poulet traversant la route" par une "Probabilité de présence", plus élevée d'un côté de la route que de l'autre.
BOUDDHA : Poser la question revient à renier sa nature de poulet.
MOISE : Et Dieu descendit du Ciel, et il dit au poulet : <>. Et le poulet traversa la route et il jubila.
JESUS : En vérité, je vous le dis, pas un poulet ne traverse la route et n'est écrasé sans que mon Père l'ait voulu. Aussi, rassurez-vous, mes frères : ne valez-vous pas mieux que tout un poulailler ?
ZEN : Le poulet peut vainement traverser la route, seul le Maître connaît le bruit de son ombre derrière le mur...
L'ÉGLISE RAELIENNE : Les Martiens l'ont enlevé dans une soucoupe volante pour le cloner !
3 commentaires:
DES GRECS : là ! encore un poulet ! passe moi un cocktail molotov ! ( http://www.non-fides.fr/spip.php?article136 )
Oui, forcément, ça casse avec le ton du blog. Mais, le photos sont tout de même très belles esthétiquement parlant !
On pourrait donc imaginer : "pourquoi le poulet a-t-il cassé du jeune grec ?" ou encore-plus philosophique-"pourquoi le jeune grec a-t-il cassé les couilles du poulet ?"
Voilà qui me rappelle bien des heures passées à écouter mon professeur de philo de prépa!!!
J'adore cette petite historiette...
Continuez, le blog est très sympa à visiter
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