samedi, janvier 10

Hippocrate et Démocrite...


...ou l'histoire d'une histoire qui vaut le coup... et sur laquelle Hippocrite & Démocrate ne pouvaient pas faire l'impasse.

La légende raconte que Démocrite ne cessait, en regardant les hommes, de rire de manière incontinente et incoercible. Toutes choses, graves et légères, le faisaient rire aux éclats. « Toute rencontre avec les hommes fournissait à Démocrite matière à rire » disait Juvénal à son sujet. C'est cette hilarité qui inquiéta ses concitoyens les Abdèritains qui firent alors venir Hippocrate pour soigner le philosophe à leurs yeux devenu fou. En effet, croyant leur concitoyen devenu fou, le Sénat et le peuple d'Abdère envoyèrent des lettres à Hippocrate pour l'inviter à examiner et soigner Démocrite. Par chance, ces lettres nous sont restées. Spécialement venu de son île de Cos, Hippocrate trouva Démocrite à l’ombre d’un platane dans le jardin de sa maison, justement occupé à écrire un traité sur la folie.
Au cours d'un entretien, il expliqua à Hippocrate : « Tu attribues deux causes à mon rire, les biens et les maux ; mais je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’oeuvres droites, puéril en tous ses projets, souffrant sans nul bénéfice des épreuves sans fin, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre… ». Après cela, Hippocrate décréta que Démocrite était l’homme le plus sain d’esprit et le plus sensé qui soit comme le dit Hippocrate dans sa lettre racontant ses entretiens avec Démocrite.

Ce blog est un hommage au rire de Démocrite, à la lucidité d'Hippocrate

Illustration :
- Démocrite et Hippocrate, gravure de Chaveau, 1678
- Démocrite et les Abdéritains, gravure de Oudry réalisée pour La Fontaine



Fable de Jean de La Fontaine,
Démocrite et les Abdéritains,  Livre VIII, fable 26


Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !
Le maître d'Epicure en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou : petits esprits ! Mais quoi ?
Aucun n'est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère députa
Vers Hippocrate et l'invita,
Par lettre et par ambassade,
A venir rétablir la raison du malade :
« Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit : la lecture a gâté  Démocrite ;
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-être même ils sont remplis
De Démocrites infinis.
Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats
Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel ; sa folie est extrême.»
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens ;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie
Le Sort cause ! Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens
Cherchait dans l'homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le coeur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
Les labyrinthes d'un cerveau
L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
Attaché selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser :
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
Ils tombèrent sur la morale.
Il n'est besoin que j'étale
Tout ce que l'un et l'autre dit.

Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
En quel sens est donc véritable
Ce que j'ai lu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu ?

Quelques sources :
- Lettres d’Hippocrate sur la prétendue folie de Democrite (traduit du grec), Paris, Le Breton et Chaubert, 1730.
- Conférence et entrevue d'Hippocrate et de Démocrite tirée du grec et commentée par Marcellin Bompart. [S.l.], [s.n], 1632, 96-88 p. (Bibliothèque nationale de France, Gallica - mode image, format PDF.









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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un joli billet, tout en douceur et en humour, comme on voudrait en lire plus souvent.

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